Épidémie et imploration


Par Ahmed Assid

Jamaa al-Adl Wal Ihsane (Justice et Charité) par la voix de son chef, a annoncé haut et fort, que « les épidémies sont des soldats de Dieu (…) en colère pour Dieu et se vengent pour lui (…) Dieu les utilise pour discipliner les homme fin qu’ils se tournent vers leur créateur« . C’est-à-dire pour qu’ils exercent leur vraie fonction…

Bien sûr, le groupe «Justice et Charité» n’est pas un groupe purement religieux, mais plutôt une organisation de prosélytisme politique qui aspire à parvenir au pouvoir en renversant les fondements du système existant. Il s’inscrit ainsi dans le cadre de l’opposition radicale au régime marocain, et son discours dans ce contexte précis ne peut être que le fait d’un calcul politique aux buts et objectifs définis politiquement.

Nous considérons que la scène nationale dispose d’un espace pour tout le monde et que l’opposition, qu’elle soit réformiste ou radicale, a sa place dans le champ politique, que le pouvoir l’accepte ou non. Nous avions toujours évité de diriger nos critiques contre ce groupe en raison des restrictions auxquelles il est confronté de la part des autorités, mais quand ses erreurs dépassent une certaine limite et se répercutent négativement sur la lutte démocratique ou la conscience du citoyen dans notre pays, il nous incombe d’attirer l’attention sur ces graves dérapages… et pour limiter la nocivité des positions extrémistes sur l’opinion publique et la société.

Croire que les épidémies et les catastrophes naturelles sont dues à la colère des Dieux envers les hommes et une vengeance à leur encontre est un dogme ancien ancré dans le passé humain lointain et les anthropologues le font remonter à l’ère de la pensée pré-scientifique, c’est-à-dire de la pensée irrationnelle ancienne que les groupes humains ont développé avant le début de la civilisation.

C’est pourquoi nous trouvons cette même croyance encore dans les premières civilisations de la Mésopotamie, de l’Égypte ancienne et de l’Asie. C’est une croyance qui a été liée à deux phénomènes lesquels ont perduré sous diverses formes jusqu’à aujourd’hui:

— Le sacrifice et les offrandes dans le but d’éviter et d’apaiser la colère des dieux.

— Les rituels magiques et dévotionnels qu’encadraient des prêtres et des sorciers.

Si les offrandes ont progressivement évolué avec l’évolution de la conscience humaine pour passer des offrandes d’humains à des offrandes d’animaux et des offrandes symboliques, les rituels magiques et cultuels ont à leur tour subi de nombreux développements jusqu’à prendre leur forme actuelle dans les trois religions dites « abrahamiques ». Mais l’élément commun entre hier et aujourd’hui est la conviction que les dommages causés par des phénomènes naturels tels que les tremblements de terre, les inondations, les épidémies, les famines et les sécheresses sont l’expression de la colère et de la vengeance de Dieu sur les hommes « à cause de l’injustice et de l’immoralité de l’être humain » comme l’a dit le secrétaire général de la « Jamaa ».

Si nous suivons la logique de la « Jamaa » et son secrétaire général, et si nous nous posons des questions à ce propos cela nous amènera au débat suivant:

— Est-il possible de faire le lien entre colère de Dieu et précautions de veille épidémique?
Bien sûr que non, à moins qu’une personne ait deux esprits contradictoires qu’elle utilise simultanément.

La croyance que l’épidémie est une colère divine ne lui permet pas d’y faire face, car l’être humain n’a pas la capacité d’affronter la colère de Dieu par des précautions et des plans du bas monde, mais les humains peuvent sans aucun doute faire face à un phénomène réel dont les causes objectives sont connues scientifiquement, comme c’est le cas avec le virus actuel pour preuve la victoire sur ce virus de la Chine en quelques semaines, un pays qui n’invoque aucune considération métaphysique.

Cela signifie que ce qu’a fait le groupe Justice et Charité, au plus fort de la crise et de la mobilisation, nous met face au problème suivant: considérer le virus comme une colère et une vengeance divines fait que les gens – s’ils croient le groupe et le suivent – vont considérer qu’il est vain de résister et de prendre des précautions, car la colère de Dieu ne disparaîtra que par les prières, et non pas par des mesures scientifiques et médicales.

— D’un autre côté, si nous suivons la logique de la Jamaa, alors les recherches en cours dans les laboratoires du monde développé pour découvrir le vaccin nécessaire seraient vaines, un flagrant défi à la volonté divine, et un mépris envers la colère de Dieu et de sa volonté de se venger de nous.

— De nombreux membres du groupe sont des enseignants des sciences exactes, telles que les mathématiques et les sciences naturelles, physiques et biologiques, mais leur formation scientifique ne semble pas avoir d’impact sur la pensée du groupe. Nous sommes confrontés à un phénomène épidémiologique qui peut être étudié, et elle est maintenant connue avec précision grâce aux analyses de laboratoire. Et avant ce virus, de nombreuses épidémies encore plus dangereuses ont été défaites telles que la peste noire, le choléra, le typhus, la fièvre jaune, et la tuberculose. Elles ont tué près de 100 millions de personnes dans le monde. La peste a tué au XVIIIe siècle la majorité de la population marocaine, y compris le sultan lui-même, et il n’en restait qu’un million et demi environ. Aujourd’hui, grâce à la science, 200.000 personnes ont été infectées par le coronavirus et seulement quelques milliers sont mortes. Que serait-il passé si tous les pays du monde avaient considéré que l’épidémie était une colère de Dieu et sa vengeance et s’étaient réfugiés dans les lieux de culte pour des prières?

— Cependant, il semble que les humains ne tirent pas les leçons de l’histoire, bien qu’ils aient réussi, grâce à la science, à venir à bout de nombreuses épidémies meurtrières au point que la population mondiale a atteint pour la première fois plus de 7 milliards de personnes, mais ils n’ont pas pensé à mieux gérer leur présence sur la terre pour coexister en paix, C’est pourquoi les forces du mal qui les habitent à cause du libéralisme sauvage et des tendances fascistes comme l’extrême droite, l’islam politique et d’autres idéologies meurtrières restent encore à l’affût et menacent la stabilité du monde en alimentant des tensions sans fin.

— La Jamaa se considère comme une alternative au pouvoir en place, et pourtant il fait face à un réel dilemme représenté par les éléments suivants: au moment où le pouvoir a appelé à prendre des mesures de précaution, préventives et de traitement, a alloué un budget exceptionnel, a décrété un état d’urgence et a lancé des campagnes de sensibilisation des citoyens, avec des moyens limités en comparaison avec ceux des grandes puissances, la Jamaa réplique que l’épidémie est une colère et une vengeance divines qui ne peut être éradiquée que par les prières.

— Il est du droit de la Jamaa de croire en tout ce qu’elle veut, en les visions et les rêves, par exemple, et qu’une personne quelconque puisse passer à travers les murs et guérir le lépreux, l’aveugle et le paralysé, marcher sur l’eau ou voler dans les airs, et que le califat reviendra sur les traces de la prophétie et autres croyances encore. Cela fait partie du droit de croire aussi bien en les religions qu’aux mythes et légendes, ou en des spiritualités mystiques, mais la question de l’heure est complètement différente, car elle concerne tout d’abord l’intérêt du pays, la sécurité du peuple marocain et de l’ensemble des peuples sur la terre.

— Le fait que la Jamaa appelle ses disciples sur son site internet à multiplier les prières est un comportement contraire aussi bien à la citoyenneté qu’au patriotisme. Car cet appel n’est pas sans signifier deux choses: soit la Jamaa considère que ses disciples sont les seuls croyants dont les prières seront acceptées par Dieu et mettront ainsi fin à cette épidémie, ou bien elle considère qu’ils sont les seuls qui méritent que Dieu les rapproche de lui pour les entourer de sa miséricorde à l’exclusion des autres citoyens, qui subiront le châtiment et la colère divines. Dans les deux cas, il y a un manque de sensibilité humaine dont les peuples du monde ont besoin dans le contexte actuel.

— J’ai toujours dit que l’islam politique ressemble aux vautours et aux mangeurs de charognards, ils sont toujours là où il y a la mort et la peur à la recherche d’un butin alors que leurs butins attirent plus d’adeptes. Les gens sont préoccupés par l’épidémie, la manière de la combattre et par la campagne de sensibilisation nationale et eux ils considèrent que la question est réglée dans le ciel et que les humains n’ont plus qu’à prier et à pleurer. L’appel de la Jamaa c’est comme dire aux gens: « rapprochez-vous de moi, je vous sauverai de la peur et de la mort! ». C’est la même mentalité qui a prévalu en Europe pendant ses âges des ténèbres, quand l’église considérait les épidémies et les famines comme une occasion en or pour rassembler les gens sous sa tutelle et les rendre plus soumises. Cette tutelle signifie non seulement une autorité symbolique, mais permet aussi de réaliser beaucoup de gains matériels et de pouvoir temporel.

— La surenchère lancée envers le pouvoir dans ce contexte difficile et de cette manière irrationnelle, sans lien avec la réalité et le sens de citoyenneté, est incontestablement une erreur. Car ce qui est exigé dans de telles circonstances c’est de s’unir autour d’une position inclusive pour faire face au danger posé qui menace tout le monde, en prenant des mesures fermes pour contenir le virus et mettre fin à la contagion avec tout ce que cela nécessite comme synergie et solidarité entre tous les Marocains, non avec un sens sectaire mais patriotique et humain.

L’expérience de la République populaire de Chine dans son combat contre ce virus est une grande leçon pour les musulmans. Une leçon de persévérance, d’ordre, de solidarité et d’engagement national. O Marocains, immunisez-vous par la science et la prévention médicale. Enseigner à vos enfants les règles de la pensée logique et scientifique, et les méthodes de recherche et d’investigation pour connaître les causes des phénomènes. C’est la base de l’appartenance à notre époque actuelle. C’est un vrai dilemme que nos corps vivent en l’an 2020 et nos cerveaux à un autre âge à des siècles lointains!

Les forces éclairées et de la démocratie doivent œuvrer aux côtés des institutions de l’État pour sensibiliser les citoyens aux dangers de la maladie, à ses origines, à ses causes objectives et aux précautions à prendre envers autrui. Les citoyens doivent œuvrer à travers les médias sociaux au renforcement de la vigilance citoyenne et à échanger les expériences pour que se dissipe ce nuage.

Mes vœux de santé, de sécurité et de longévité à tous.

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