Les obstacles inamovibles à la pleine reconnaissance de la culture amazighe au Maroc
Historiquement, les Amazighs ont dû faire face à de nombreux obstacles et barrières pour la reconnaissance et l’expression libre de leur histoire, de leur langue et de leur culture. Ces obstacles sont fortement influencés par des conflits et des désaccords historiques au sein du Maroc. Avec plus de 80 % de la population marocaine d’origine berbère, ces questions sont désormais au premier plan de la politique et de l’identité culturelle au Maroc.
Aujourd’hui, ces questions ne sont plus combattues par le glaive, mais par la politique, la société et les médias. Maintes barrières historiques ont toujours été à la base des problèmes qui ont entravé la culture amazighe à l’ère moderne. Actuellement, la communauté amazighe s’attache à promouvoir la langue amazighe, à lutter pour une plus grande représentation au sein du gouvernement marocain et à améliorer la reconnaissance de l’influence et de l’importance de l’Amazighité millénaire sur la culture marocaine.
Aspects saillants de la culture amazighe
L’aspect le plus populaire et le plus facilement identifiable de la culture est la langue connue sous le nom de Tamazight. Le Tamazight est largement parlé dans tout le Maroc, mais pendant des décennies, il n’a pas été reconnu comme une langue officielle ou utilisé par le gouvernement ou les médias pour la couverture d’événements ou la rédaction de documents officiels. Lorsqu’en 1980, le « Printemps berbère » –Tafsut imazighen- en Algérie a suscité un plus grand soutien à la cause berbère dans la région MENA, la lutte pour la reconnaissance de Tamazight est sortie de l’ombre et a finalement été plus largement reconnue par la société.
Cependant, à cette époque, le gouvernement marocain n’a toujours pas apporté de changements ni accordé beaucoup d’attention à la lutte pour la légitimité de Tamazight. En 1994, après une arrestation largement médiatisée de manifestants amazighs, le roi Hassan II a déclaré publiquement à la télé que les dialectes amazighs constituaient une partie importante de l’histoire et de la culture marocaines. Il a même admis que cela devrait en théorie être enseigné dans les écoles publiques. C’était la première fois qu’un roi alaouite confirmait et reconnaissait directement l’importance de la culture et de la langue amazighes au Maroc et pour les Marocains.
Quelques années après le discours du roi Hassan II, et avec l’ascension du roi Mohammed VI au trône, un décret royal a été rédigé pour créer l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) en 2001. L’IRCAM était destiné à apaiser les protestations et les militants amazighs. Sa principale mission était de promouvoir la langue et la culture amazighes au Maroc. Il s’agissait de normaliser Tamazight dans l’espoir de l’introduire progressivement dans les écoles publiques et les médias. Cependant, l’intégration de Tamazight n’a eu lieu que quelques années plus tard, en 2005, et uniquement dans les zones de langue berbère. Et même avec le gouvernement qui se traîne les pieds, la communauté amazighe a réalisé de nombreux exploits qui n’étaient pas considérés comme possibles des décennies auparavant.
En 2011, des manifestations ont eu lieu dans tout le pays pour réclamer plus de changements politiques conséquents, pour plus de démocratie, au Maroc. Le roi Mohammed VI a rapidement répondu aux manifestants et a promis publiquement que des changements radicaux seraient apportés. À cette époque, une nouvelle constitution a été rédigée pour donner plus de libertés, d’implication, et de protection aux citoyens.
Conséquence de la contestation, la langue Tamazight a finalement été légitimé comme langue nationale et officielle du Maroc. Ce fut un grand pas en avant pour les militants amazighs. La nouvelle constitution a ouvert une nouvelle voie pour les amazighs et leur a permis d’améliorer leur statut et leur reconnaissance, au Maroc, en tant que source légitime d’histoire, de connaissances, de civilisation et de culture.
Sentiment anti-amazigh
Aujourd’hui, la communauté amazighe est toujours confrontée à de nombreux problèmes qui sont enracinés dans le sentiment anti-amazigh à travers le Maroc. Tout d’abord, en ce qui concerne la langue Tamazight, bien qu’elle soit désormais reconnue comme langue officielle, il existe encore de nombreux problèmes liés à la manière dont elle est utilisée et reçue. Le gouvernement utilise le Français (qui n’est même pas une langue officielle) et l’Arabe pour tous ses documents. Souvent, les documents ne sont pas publiés en Tamazight et laissent donc la langue encore au point mort et derrière l’Arabe.
La dernière expression de ce sentiment anti-amazigh a avoir avec la Carte d’identité nationale -CIN- électronique qui, paradoxalement, fait usage d’une langue non officielle et non nationale : le Français et non le l’alphabet latin, comme le disent les gens du Ministère de l’intérieur, et exclut le Tamazight, selon la raison boiteuse du même ministère, pour non-conformité sur le plan « renseignements ». Donc, on se demande à quoi sert la Constitution 2011, si la « Mère des Ministères » en fait fi et pourquoi le Conseil constitutionnel, gardien de la constitutionalité des lois et de l’usage des lois, ne dit rien à ce sujet.
Il y a aussi le problème du manque de mise en œuvre par l’IRCAM de l’intégration de Tamazight dans les écoles publiques du pays. Si certaines régions peuvent enseigner le Tamazight, d’autres ne le font pas. L’application de la promotion de la langue n’est pas uniforme. L’IRCAM est notoirement connu pour être un département gouvernemental sans faire réellement un travail substantiel dans son domaine. Les gens ont accusé le gouvernement d’utiliser l’IRCAM comme excuse pour montrer à la population qu’ils « se soucient » de la culture et de la langue amazighes. Toutefois, il faut souligner que le PJD, au pouvoir, a réussi implicitement à liquider récemment l’IRCAM par le biais de la mise en marche du « Conseil national des langues et de la culture marocaine », une structure bateau, pour des fins de politique politicienne.
Dans l’ensemble, la société arabe et le gouvernement continuent de nier que Tamazight est une langue importante et « vraie ». Parce que, pour eux, le Tamazight est historiquement oral, et à cause de son passé non écrit, elle est considérée comme « illégitime » pour ne pas dire bâtarde. En outre, la croyance du monde arabe selon laquelle l’Arabe est la langue du paradis, place automatiquement Tamazight derrière lui en importance. Pour certains imams islamistes c’est la langue du koufr.
Il y a aussi la question de la représentation de la communauté amazighe au sein du gouvernement marocain. Depuis le nouveau siècle et les nouvelles réformes constitutionnelles, la communauté amazighe est de plus en plus active politiquement. En 2005, elle a même créé un parti amazigh officiel, le Parti démocratique amazigh marocain (PDAM), destiné à faire campagne pour la laïcité politique, les droits des Amazighs et la reconnaissance culturelle. Cependant, peu après la création du parti, le gouvernement marocain a interdit la participation du parti au sein du gouvernement en raison de la loi marocaine qui interdit strictement la formation de partis sur des principes ethniques ou religieux. Pour cette raison, le parti a été dissous en 2007. Même après 2007, les militants amazighs ont continué à trouver des moyens de faire campagne pour leurs droits et leur reconnaissance.
Aujourd’hui, il existe des partis basés sur des principes amazighs. Ces partis soutiennent fortement la lutte des Amazighs. Le plus important de ces partis est le Mouvement Populaire (MP). En 2007, le MP a remporté plus de 9 % des voix, ce qui le place parmi les trois principaux partis au sein du Parlement marocain. Il s’agit d’un début de soutien de plus en plus important du gouvernement à la cause amazighe, ce qui, espérons-le, améliorera l’implication, l’influence et la légitimité des Amazighs au Maroc.
Bien que le gouvernement marocain ait déployé de nombreux efforts pour soumettre toute influence amazighe libre et circonscrire les partis amazighs au sein du monde politique, les Amazighs ont, tout de même, réussi à faire entendre leur voix. Bien que ce soit un long processus, le combat des Amazighs gagne lentement plus de soutien au sein de la société, mais surtout au sein du gouvernement lui-même. Les militants devront, toutefois, continuer à faire pression pour une plus grande reconnaissance de Tamazight et de la culture amazighe. Politiquement, les Amazighs ont maintenant le pied dans le sérail, avec un peu de chance et du temps, leur combat va aboutir à une influence majeure sur la politique marocaine et donc à améliorer la situation des Amazighs.
Médias amazighs
Enfin, l’un des plus grands problèmes auxquels les Amazighs sont confrontés aujourd’hui est le manque de reconnaissance réelle par les médias et les citoyens de l’importance de la culture et de la langue amazighes pour la société marocaine moderne. Si la société a plus ouvertement accepté l’Amazigh comme une culture historiquement importante, il existe encore une certaine résistance et hésitation de la même société à lui permettre de s’épanouir autant qu’elle le peut. Après la nouvelle constitution en 2011, il y a eu de nombreuses réformes et la création de chaînes de télévision et de journaux qui sont en Tamazight.
Tamazight 8 (chaine SNRT 8) est la chaîne de télévision amazighe la plus populaire, diffusant des émissions de télévision, des films et des bulletins d’information en langue amazighe. Cependant, il y a encore des problèmes. C’est la seule chaîne de télévision qui diffuse officiellement en Tamazight. Toutes les autres chaînes sont soit en Français, soit en Arabe. L’accès à cette chaîne est également limité par le fait que les émissions et les programmes ne sont pas toujours en Tamazight à tout moment de la journée. Il y a toujours un peu de l’arabe dans la chaîne, sous forme de sous-titrage ou autre.
Ce mélange et l’absence d’un accès complet au Tamazight prouvent que la communauté dans son ensemble n’a pas encore pleinement accepté la culture amazighe et la langue Tamazight dans la société marocaine. Même avec d’autres médias, l’offre et l’accès aux journaux, films, musique et publications tamazight et amazighs restent limités. Bien que les médias amazighs commencent à devenir plus populaires, il y a un manque de moyens pour soutenir leur croissance et leur promotion. Avec le temps, la communauté amazighe espère obtenir un soutien gouvernemental plus important pour promouvoir ces médias, défendre la cause amazighe et éduquer le public sur la pérennité de la civilisation amazighe.
Le mot de la fin
Dans l’ensemble, le combat de la communauté amazighe pour la reconnaissance et l’égalité n’est pas encore terminé au XXIe siècle. La culture amazighe, dans son ensemble, fait, toujours, face à de nombreux obstacles en raison du manque de soutien gouvernemental et sociétal. Cependant, le combat pour la reconnaissance dans tous les pans et les aspects de la société, la promotion et l’enseignement de la langue et la culture, et une meilleure représentation au sein du gouvernement et dans la sphère politique, ne fait que commencer, pour de bon, mais, toutefois, l’avenir semble souriant et prometteur pour le peuple amazigh au Maroc et pour sa civilisation millénaire. Amen.
Professeur universitaire et analyste politique international