Comprendre la culture amazighe pérenne
Peu importe comment on explique, ou croit que les Amazighs de l’Afrique du Nord sont venus dans la région ; une chose est certaine, leur présence au Maroc est très ancienne et a eu une influence considérable sur le mode de vie du Marocain contemporain et son sens de l’identité et de l’appartenance, sans oublier pour autant l’ensemble de ses croyances païennes ou monothéistes soient-elles, à travers les âges.
Il y a spécifiquement et exclusivement trois thèmes principaux dans la culture Amazighe qui sont définis comme une trinité importante et primordiale dans son système des valeurs et sont facilement identifiables dans la culture marocaine et nord-africaine d’aujourd’hui. Ces thèmes ont transcendé la culture amazighe et ont été largement acceptés comme des concepts de base de l’identité marocaine. La trinité en question s’articule autour des notions suivantes : l’importance de la langue comme véhicule de la culture et marqueur principal de l’identité (tamazight/awal) sur à la fois le plan de la communication et de la perpétuation de l’histoire, l’omniprésence du système fort et indivisible de la parenté et de l‘appartenance à la famille étendue (ddam/tamount) qui s’exprime par la solidarité et la coexistence, ainsi que la forte connexion à la terre et l’identification avec ces bienfaits et la croyance en sa sacralité (akkal/tammourt/tamazirt) qui est forte aussi chez d’autres peuplades du pourtour méditerranéen.
Ces trois piliers de la culture amazighe d’origine et par extension de la culture marocaine d’aujourd’hui, dans son ensemble, sont indéniablement le substratum de la très forte notion de tamaghrabit (l’appartenance à un Maroc multiculturel, divers et tolérant) qui soude les Marocains. En effet, si aujourd’hui les Marocains ne sont pas déchirés par des conflits ethniques, linguistiques et culturels, comme c’est le cas au Moyen Orient, depuis l’avènement du printemps révolutionnaire, c’est parce que dans leur DNA on trouve les traces de cette trinité qui amplifie leur appartenance multiple et indivisible :[i]
- Appartenance amazighe ;
- Appartenance arabo-musulmane ;
- Appartenance hébraïque ;
- Appartenance méditerranéenne ; et
- Appartenance africaine.
Chose qui a été reflété puissamment dans le texte de la constitution de 2011, dans les termes suivants :[ii]
« Etat musulman souverain, attaché à son unité nationale et à son intégrité territoriale, le Royaume du Maroc entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen. »
L’importance de la langue : Tamazight/awal
Le thème le plus évident, qui est présent dans la communauté amazighe au Maroc, est l’importance de la langue dans la société, la civilisation et le vécu. Quand on contemple la culture du peuple amazigh, il y a une corrélation claire entre la pertinence de la langue et la préservation de la civilisation et des traditions millénaires (voir la tradition des Maitres Musiciens Jahjouka au nord-est du Maroc).[iii] Leur musique de transe et leur théâtre anthropologique a traversé quatre mille ans d’histoire sans égratignure aucune.
L’histoire et le système de croyances du peuple amazigh ont été préservés de façon orale de père en fils ; où une génération transmettait l’histoire, la sagesse et les lois à une autre, de façon automatique par le biais de la langue maternelle, puissant véhicule linguistique. En réalité, malgré l’existence de trois dialectes amazighes distincts au Maroc, l’histoire et les lois du peuple amazigh se sont synchronisées et ont survécu à d’innombrables invasions à travers son longue histoire de huit milléniums.
Lorsque l’invasion arabe a eu lieu (647-709), les Arabes ont apporté avec eux une appréciation similaire pour la nature essentielle de la langue et le rôle que les personnes âgées et sages (respect de la séniorité) devraient jouer dans la préservation de la culture dans ses composantes linguistiques et matérielles. Même si l’on oublie le fait que l’Arabe et le Tamazight, les langues parlées par le peuple amazigh aujourd’hui, proviennent de la famille des langues afro-asiatiques, les deux langues mettent fortement l’accent sur l’identité et l’appartenance pour assurer la continuité de la langue, par écrit ou oralement.[iv]
Pour Salem Chakir, la tradition littéraire amazighe est très forte :[v]
« …les Berbères ont et ont toujours eu une tradition littéraire très vigoureuse et diversifiée : poésie, contes, légendes, devinettes et énigmes… Au Moyen Âge déjà, un auteur arabe comme Ibn Khaldoun s’émerveillait de la prolixité de cette littérature berbère. En fait, dans les sociétés berbères traditionnelles, tous les moments de la vie, quotidiens ou exceptionnels, sont ponctués par la littérature, poésie, chants, contes… Les fêtes – naissances, circoncision, mariage, mort – étaient l’occasion de poésies et chants rituels ou improvisés ; tous les actes de la vie quotidienne donnaient naissance à des genres particuliers : chants de travail, chant de tissage, contes des veillées, chants et poésies de pèlerinage… Dans la société ancienne, les personnes âgées, hommes et femmes, étaient les principaux dépositaires et transmetteurs de ce patrimoine littéraire oral, mais tout le monde était peu ou prou poète ou conteur. »
Aujourd’hui, le dialecte arabe parlé par les Marocains darija est hautement différent de celui du Machrek vu la forte influence de Tamazight sur ses aspects phonétiques, phonologiques, syntaxiques et sémantiques. En un mot, quand les Amazighs sont entrés en contact avec l’Arabe ils l’ont amazighé de fond en comble,[vi] et c’est la raison pour laquelle les Arabes du Moyen Orient sont incapables de comprendre la darija, alors que les Marocains comprennent leur idiome et le parle avec aise.
Les Marocains, aussi, au vu de l’influence de Tamazight, dont le registre phonétique est riche en sons divers, arrivent à apprendre et parler les langues internationales avec un bon accent et beaucoup de facilité.[vii]
Pertinence de la parenté : ddam /tamount
Un deuxième thème que l’on doit considérer lorsqu’on compare la culture amazighe et la culture marocaine contemporaine est l’idée de parenté qui est naît du système communautaire amazigh.[viii]
L’idée d’un État-nation était un concept étranger des envahisseurs de l’Occident que les autochtones Amazighs et Arabes du Maroc avaient rejeté avec vigueur. Pour les Amazighs comme pour les Arabes, on admet que les similitudes entre les hommes ne sont pas définies par des lignes imaginaires mais plutôt par une identité qui découle d’une langue commune, d’une histoire partagée et, pour les Arabes, d’une religion forte dans sa conception de l’appartenance (oumma).
Cette définition commune de l’identité a abouti à un système communautaire omniprésent dans la culture amazighe et marocaine. Ce système communautaire est défini en des termes économiquement socialistes mais, aussi, socialement démocratiques qui peuvent encore être trouvés dans l’hospitalité des Marocains aujourd’hui et leur sens inné de la tolérance et la cohabitation et la coexistence (voir le sens de la cérémonie d’accueil et de bienvenue du thé à la menthe très sucré).
Cependant, l’idée de parenté qui se manifeste à travers des personnes liées par le sang, le vécu et l’histoire accuse une distinction pertinente entre la culture amazighe et marocaine dans le sens que le système communautaire amazigh met l’accent sur la notion de la matriarche comme personne-pivot de la famille imprégnée de valeurs démocratiques, alors que la culture marocaine, de substrat arabe, préfère une patriarchie, très forte et sans partage.
Chez les Amazighs les liens de sang sont sacrés dans le mariage, dans la paternité et les appartenances familiales. En effet, deux tribus signent leur alliance par un mariage. Le sang dans le contexte du sacrifice et aussi signe de réconciliation, de demande de pardon et de respect, tagharst. Il est aussi le symbole d’hospitalité, on égorge un mouton pour souhaiter la bienvenue à un invité ou étranger quelconque parce que faire couler du sang c’est établir un lien de respect avec le nouveau venu et l’inclure dans la société jma’ath.
La centralité de la terre : akkal/tammourt/tamazirt
Les Amazighs considèrent la terre comme un bien sacré qui, non seulement soutenait la vie, mais fournissait une protection contre les campagnes impérialistes occidentales et arabes et qui contribuaient, aussi, à préserver la langue et le système communautaire. D’ailleurs la vente de tout lopin de terre hérité a été une notion fortement stigmatisée (hchouma) dans la culture amazighe de toujours. L’aspect spirituel/sacré de la terre peut être trouvé, aussi, dans le référentiel de l’Islam marocain (étroitement lié au Soufisme et a la spiritualité amazighe), aujourd’hui.
Il existe une relation complexe avec la langue, les normes communautaires de la société et la connexion à la terre entre les traditions culturelles amazighes et leur place dans la société marocaine. La structure sociétale et la relation à la terre sont fortement corrélées à leur acceptation dans la culture marocaine d’aujourd’hui.
La civilisation amazighe a survécu à l’usure du temps et des cultures envahissantes grâce à l’amour infini que les autochtones de l’Afrique du Nord portent à la terre qui les nourrit, les protège et les fortifie. N’est-il pas le cas que l’amazighité continue à défier le temps parce que les montagnes (akkal) l’ont protégé contre l’acculturation et l’invasion.
L’amour des Amazighs pour la terre se manifeste dans l’agriculture et les célébrations de ses dons généreux en été, lors des moussems. Des célébrations de remerciements au bon dieu pour son don de fertilité et sa générosité. Cette célébration on la retrouve des plus belles chez les anciens amazighs des Jbalas, en particulier le clan des Ait Serif ou les musiciens les plus anciens de la Méditerranée, Jahjouka, célèbrent la fertilité de la terre en musique et dance durant leur festival annuel connu sous le nom de bou irmawen/ilmawen.
On raconte que William Shakespeare (1564–1616) avait durant sa vie rencontré un chef de guerre amazigh qui défendait, avec courage et témérité, à la tête de son armée, la riche ville-état de Vénice. Shakespeare l’a immortalisé dans sa pièce de théâtre : Othello, the Moor, qui est passé à la postérité. Ce chef et guerrier amazigh était grand, généreux et noble, aimé par ses amis et craint par ses ennemis, il défendait la terre becs et ongles.
Notes de fin te texte :
[i] Chtatou, M. 2009. « La diversité culturelle et linguistique au Maroc : pour un multiculturalisme dynamique », in : Asinag 2 (2009), p 149-161. http://www.ircam.ma/doc/revueasing/mohamed_chtatou_asinag2fr.pdf
[ii] https://www.bladi.net/texte-integral-nouvelle-constitution-marocaine.html
[iii] Hamri, M.1975. Tales of Joujouka. Capra Press.
[iv] Chtatou, M. 1991. “Bin –Abd Al-Karim Al-Khattabi in the Rifi Oral Tradition of Gzenneya,” in : Tribe and State : Essays in Honour of David Montgomery Hart, ed. E. G. H. Joffe and C. R. Pennell (Cambridgeshire, U.K. : Middle East and North Africa Studies Press, 1991), p 182–212.
[v] https://www.clio.fr/bibliotheque/langue_et_litterature_berberes.asp
[vi] Chtatou, M. 1997. « The Influence of the Berber Language on Arabic, » in : International Journal of the Sociology of Language, 123 (1997), p 101–118.
[vii] http://projetbabel.org/forum/viewtopic.php?t=6748
[viii] Chtatou, M. 2001. « La notion d’appartenance au groupe chez les Rifains, » in : Awal 15, MSH, Paris.
Professeur universitaire et analyste politique international